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Une interprétation stricte pour les uns, un assouplissement pour les autres : tribulations en place de grève

La Cour de cassation considère de longue date que l’arrêt concerté du travail visant simplement à soutenir un ouvrier licencié pour une faute personnelle n’est lié à aucun intérêt collectif ou professionnel et n’est donc pas une grève (Soc, 30 mai 1989, n°86-16.765 ; Soc, 16 novembre 1993, n°91-41.024).

A contrario, est une grève l’arrêt de travail visant à protester contre le licenciement d’un salarié lui-même élu du personnel ou représentant syndical et porteur de revendications collectives (Soc, 30 juin 1976, n°75-40.401 ; Soc, 5 janvier 2011, n°10-10.685).

La différence de traitement dans deux situations apparemment proches peut sembler subtile voire…surprenante, et c’est sans doute à dessein que, le 6 avril 2022, la Cour de cassation a précisé sa position dans un « cas d’école » :

Plusieurs salariés ont cessé le travail pendant plusieurs jours, en réaction au licenciement disciplinaire d’un de leurs collègues, dont ils sollicitaient la réintégration par courrier.

Trois d’entre eux ont été licenciés pour absence injustifiée par suite de ce mouvement et invoquaient la nullité de leur licenciement, se considérant grévistes.

Pour la Cour de cassation, qui confirme l’arrêt d’appel, seul le contenu de la lettre informant l’employeur du mouvement doit être pris en compte pour apprécier les revendications des salariés.

En l’espèce, ceux-ci se contentaient de contester les fautes imputées au salarié licencié, et ne portaient aucune revendication.

Aussi, même si un cabinet d’expert avait préconisé avant l’arrêt de travail des mesures d’amélioration des conditions de travail, ce qui ne figurait pas dans le courrier des salariés, il n’était pas possible de considérer que les salariés faisaient état de revendications professionnelles.

A noter que, quelques jours plus tard, la Cour de cassation a choisi d’alléger les modalités de l’exercice de la grève dans les entreprises privées gérant un service public, en admettant qu’un salarié -seul- puisse cesser le travail pour appuyer des revendications professionnelles dans le cadre d’un préavis de grève déposé par une organisation syndicale représentative (Soc, 21 avril 2022, n°20-18.402).

Ainsi, cette décision ajoute une nouvelle exception au principe de collectivité de la grève, de jurisprudence constante (notamment Soc, 4 novembre 1992, n°90-41.899), déjà amendé dans le cadre de grèves nationales (Soc, 29 mars 1995, n°93-41.863) ou pour les entreprises n’ayant qu’un seul salarié à même de présenter et défendre ses revendications professionnelles (Soc, 13 novembre 1996, n°93-42.247).