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Un simple rappel à l’ordre n’a pas la valeur de sanction disciplinaire

Cass. Soc., 20 mars 2024, n°22-14.465

Un mail dans lequel l’employeur se borne à demander au salarié de modifier son comportement et ne prend aucune mesure concrète à l’encontre de celui-ci ne constitue qu’un rappel à l’ordre et n’épuise pas son pouvoir disciplinaire. C’est ce que décide la Cour de cassation dans un arrêt du 20 mars 2024.

En l’espèce, un conseiller sportif est mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable en vue de son licenciement.

Il reçoit pendant cette suspension un mail qui porte une série de griefs à son encontre. Il est, par la suite, licencié pour faute grave pour avoir tenu des propos dénigrants et déplacés mettant en cause l’honnêteté de ses dirigeants.

Contestant cette décision, le salarié a saisi la juridiction prud’homale afin de voir annuler son licenciement, intervenu, selon lui, en violation de sa liberté d’expression.

Selon lui :

D’une part, le mail reçu pendant la mise à pied conservatoire constituait un avertissement et donc une sanction disciplinaire en ce qu’il énonçait les manquements qui lui étaient reprochés et lui intimait d’y mettre un terme,

D’autre part, il considère que ses propos, tenus dans le cadre de stricts échanges entre l’employeur et le salarié ou une collègue, ne contenaient aucun terme injurieux, diffamatoire ou excessif, justifiant un licenciement pour faute grave.

La cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, rejette l’argumentaire du salarié.

Dans un premier temps, elle retient que par l’intermédiaire du mail litigieux, l’employeur se contente de demander au salarié de faire preuve de respect à son égard, de cesser d’être agressif, de faire preuve de jugements moraux, de colporter des rumeurs et autres dénigrements auprès de la clientèle et des autres salariés sans qu’aucune mesure ne soit prise à son encontre.

En ce sens, selon les hauts juges, ce mail constitue tout au plus un « rappel à l’ordre » n’épuisant pas le pouvoir disciplinaire de l’employeur.

Dans un second temps, la cour d’appel relève que les propos tenus par le salarié étaient dénigrants et déplacés et qu’ils mettaient en cause l’honnêteté des dirigeants ce qui caractérisaient un abus dans l’exercice de sa liberté d’expression. Elle précise également que ce dernier ne pouvait pas justifier ces propos en arguant qu’ils étaient fondés, ce qui, en l’espèce, n’était pas démontré.

Le licenciement pour faute grave est ainsi parfaitement justifié.

Point d’attention : selon le principe non bis in idem, une même faute ne peut être sanctionnée deux fois.

Cet arrêt apporte l’illustration d’une mesure qui a été considérée -ici- comme un simple rappel à l’ordre et non une sanction.

Ce qui, en première lecture, apparait comme contraire à des décisions récentes, ainsi :

Un compte-rendu d’évaluation comportant des griefs précis : l’employeur reprochait au salarié son attitude dure et fermée aux changements, à l’origine d’une plainte de collaborateurs en souffrance, des dysfonctionnements graves liés à la sécurité électrique et le non-respect des normes réglementaires, et l’invitait de manière impérative et comminatoire et sans délai à un changement complet et total (Cass. Soc., 2 février 2022, n°20-13.833) ;

Un courriel de l’employeur qui formulait des manques à des règles de procédures internes et invitant impérativement le salarié à s’y conformer (Cass. Soc., 9 avril 2024, n°13-10.939);

Il semblerait que la fermeté du ton employé ainsi que l’incitation faite au salarié de modifier son comportement « sans délai » marquerait la différence entre un rappel à l’ordre et un avertissement.

Il faut toutefois relever la particulière « subtilité » de la différence qui conduit à des solutions différentes, dans une configuration proche, sinon identique ce qui suggère de marquer la plus grande prudence avant d’adresser un mail/courrier à un salarié alors qu’une sanction formelle est envisagée. A l’idéal, l’employeur retiendra sa plume et réservera la formulation de ses griefs à la lettre de notification.