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La loyauté dans les négociations

TJ Paris, 20 juin 2023, RG n° 22/04785

L’absence d’invitation d’une organisation syndicale représentative aux dernières réunions de négociation d’un accord collectif peut caractériser un manquement à l’obligation de loyauté justifiant son annulation, peu important la réouverture ultérieure de la négociation.

À l’issue des négociations, pendant plus de 18 mois, d’un accord de performance collective (APC), un employeur a annoncé leur achèvement sous réserve de quelques « aménagements techniques » à apporter au projet d’accord qu’il a alors transmis aux deux organisations syndicales représentatives dans l’entreprise.

Les deux réunions de négociation suivantes se sont tenues avec la seule organisation syndicale majoritaire, le syndicat minoritaire n’y ayant pas été convoqué au motif que, selon l’employeur, il aurait déclaré qu’il n’entendait pas signer l’APC. Lors d’une réunion du comité social économique organisée immédiatement après, l’employeur a indiqué qu’un APC, demeurant ouvert à la signature, avait été signé avec l’organisation syndicale majoritaire. L’APC a ensuite été présenté à l’ensemble du personnel.

Le syndicat minoritaire a demandé à l’employeur d’annuler l’APC en se prévalant du caractère déloyal de la négociation. L’employeur a alors organisé une ultime réunion de négociation, à l’issue de laquelle une nouvelle version de l’APC, comprenant quelques aménagements proposés par le syndicat minoritaire, a été établie et, une fois encore, signée par la seule organisation syndicale majoritaire. Cette dernière version a été déposée et publiée puis contestée en justice par le syndicat minoritaire.

Dans un jugement rendu le 20 juin 2023, le tribunal judiciaire de Paris a fait droit à la demande d’annulation de l’APC. Il a considéré que l’exclusion du syndicat minoritaire des dernières réunions de négociation constituait un manquement à l’obligation de loyauté, laquelle devait être appréciée avec une « particulière vigilance » au regard de la nature dérogatoire de l’APC et de la possibilité, pour l’employeur, de licencier les salariés qui refuseraient son application. Cette solution est conforme à la position de la Cour de cassation, laquelle avait déjà eu l’occasion de confirmer l’annulation d’un accord collectif, en raison de négociations séparées excluant certaines organisations syndicales représentatives (Cass. soc., 8 mars 2017, n° 15-18.080).

Plus notable est la position du tribunal s’agissant de l’ineffectivité de la tentative de régularisation opérée par l’employeur. Sur ce point, il a été jugé que « la déloyauté qui caractérise l’existence de négociations séparées invalide par elle-même l’ensemble du processus de négociation ». Peu importe, donc, que l’employeur ait repris les négociations avec l’ensemble des partenaires sociaux. La position peut sembler sévère, d’autant plus que la réouverture de la négociation n’a pas été de pure forme : certaines observations du syndicat minoritaire ont bien été prises en compte dans la version finale de l’APC. Néanmoins, la nature spécifique de l’APC, et le fait que le syndicat minoritaire se soit retrouvé devant le fait accompli de la signature de l’accord initial, ont amené le tribunal à considérer que la direction n’avait pas « régularisé la situation au regard du principe de loyauté ».

Dans l’hypothèse d’un appel, la position de la cour sera donc attendue avec attention.

Quoi qu’il en soit, il sera souligné l’importance, pour l’employeur, de respecter son obligation de neutralité par rapport à l’ensemble des organisations syndicales représentatives et de veiller à convoquer systématiquement chacune d’elles aux différentes réunions de négociation. En cas de difficultés, l’employeur doit reprendre le processus de négociation dans son intégralité. Dans l’attente de précisions sur les implications pratiques d’une telle reprise, plusieurs solutions peuvent être recommandées. L’employeur peut partager auprès de l’ensemble des organisations syndicales représentatives la teneur des discussions qu’elles ont manquées. Il peut également prévoir de reprendre la négociation dans leur état antérieur à ces discussions. Enfin, la conclusion d’un accord visant à encadrer la réouverture de la négociation peut être envisagée.